PHOTOS après 2005
Paysage de suie, 14 Photos éditées à 14 exemplaires, 60x90cm, digigraphie Epson, RLD, 2014
Paysage idiot, photo éditée à 7 exemplaires, 80x45cm, Digigraphie Epson, RLD, 2009
Poésie, Photo éditée à 7 exemplaires, 91x175cm, Digigraphie Epson, RLD, 2011
Grand corbeau chutant dans l’escalier, photo éditée à 7 exemplaires, Digigraphie Epson, RLD, 2011
Identité nationale, 7 photos indissociables tirées à 7 exemplaires, 70x50cm chacune, Digigraphie Epson, RLD + aquarelle. 2010
Poudre bleu Beaubourg, photo éditée à 7 exemplaires, 186x85cm, Digigraphie Epson, RLD, 2010
A wing shot, photo montage, détail d’une photo de R H Young de 1902 + Plume et plexiglas, 43x39cm, 2011
Sans titre, photo (Auschwitz, prise de vue argentique 1994 et numérique 2014) éditée à 7 exemplaires, Digigraphie Epson, RLD, 91X176cm, 2014
Après identité nationale, photo + Peau de mouton, éditée à 7 exemplaires, Digigraphie Epson, RLD, 2012
Dans la maison détruite par le feu de son fils, Desbouiges, le photographe perçut immédiatement la perspective esthétique qui se présentait à lui, quelque part entre vie et mort, intérieur et extérieur, abstraction et figuration. Et ce, à partir de cette mince paroi vitrée ce presque rien informe et intrigant, ce simple détail, que Shaftesbury cité par Daniel Arasse appelait joliment en son temps « une découpe jouissive » à travers laquelle, comme par enchantement, c’était tout un paysage réinventé autant qu’inédit qui surgissait dans la camera obscura de notre artiste (je veux ici évoquer tant la boîte à images que l’enregistreur inconscient de son propriétaire). Or, quand on considère le « paysage » en question dans son recadrage, on ne sait pas trop au juste à quoi réfère cet objet culturel non identifié et nul doute que le regardeur devant les impeccables alignements des quatorze opus de la galerie puisse de bon droit se le demander ignorant qu’il est de la démarche de l’artiste. S’agit-il de peinture ou de photographie ? A moins que ce ne soit le peintre lui-même qui ait fixé sur son appareil sa propre composition picturale ? Quant à la nature même de ces représentations, sont elles abstraites ou réalistes, la limite n’est pas très claire et la frontière aussi mince que les vitres elles-mêmes ?…
Autant de questions qui peuvent rendre dubitatifs les habitués des espaces d’art car si l’artiste a eu le désir de susciter le questionnement, on peut dire que c’est réussi ! Alors oui, disons le tout net, il s’agit bien de photographies mais de photographies vues à travers le regard d’un peintre. Et cela change tout. Car il y a derrière ce choix de prise de vue, une visée (c’est le mot qui convient) intégrant un empan considérable du territoire culturel car, on ne peut l’oublier, Joël Desbouiges, outre sa qualité d’artiste, a trop longtemps enseigné dans les Ecoles d’art, vécu dans la proximité des idées et des courants de l’histoire des formes pour en refuser l’héritage. Dans le carottage – ou devrais je écrire carreautage ?- du Réel qu’il nous propose entre le vide du double vitrage, c’est une véritable mise en abyme citationnelle qui est, de facto, convoquée et reconsidérée tant les domaines et les pratiques s’y peuvent lire en filigrane sans que l’artiste, à aucun moment, ne s’inféode, n’abdique sa singularité mais bien plutôt, joue et déplace, construit et déconstruit , en un mot, crée, véritablement. Que de choses à voir dans cet étrange cabinet de curiosités en miniature, que de secteurs du savoir, de recherches et d’étonnement à la vitrine du monde ! Et pour commencer, l’entomologie avec tout ce petit peuple de mouches et d’arachnides captives involontaires d’un grand verre quelque peu Duchampien éternisant l’instant où la mort saisit le vif en un étonnant arrêt sur image avant que la traversée des apparences ne se poursuive et que ne remonte à la lumière le travail du maître verrier qui semble alors sous nos yeux convoqué dans les arabesques involontaires des lignes de fractures côtoyant parfois ou même les prolongeant, les filiformes pattes des araignées comme si un bris de verre n’abolissait jamais le hasard…
En d’autres endroits le regardeur peut, selon ses capacités de projection, trouver trace de l’empreinte du graveur en une série de motifs ressortissant à l’art visionnaire de la fin du XIXème siècle à moins qu’il n’y perçoive le tachisme halluciné d’un peintre du XXème en quête de novae inouïes, de trous noirs indécelables, de galaxies ne figurant pas sur la carte du ciel… Bref, dans cette série de 14 photographies, c’est le spectateur qui est lui-même appelé à rentoiler selon son humeur et sa capacité à imaginer, toute une scénographie d’innombrables tableaux et variations mises à sa disposition par Joël Desbouiges qui, à l’arrière-plan est le véritable Deus ex machina de l’histoire… Lequel n’a pas ménagé sa peine pour offrir ces raccourcis saisissants ouvrant sur des territoires artistiques inexplorés : pas moins de 70 prises en 1h 20 avant de sélectionner l’actuelle série ! Avec l’appareil à vingt centimètres de la vitre et l’impérieuse nécessité diaphragme ouvert, de conserver la même balance des couleurs, le même contraste qui, au final, dans un sfumato artistique des plus maîtrisé nous transporte dans ces univers insituables aux dominantes bleues, noires et vertes à la lisière des choses, à la marge. Véritablement border line.
J’évoquais plus haut la traversée des apparences et ce n’est pas gratuitement que j’ai donné ce titre à ce papier. Joël a toujours adoré jouer les passeurs. Si l’on considère ses travaux récents et moins récents, il s’est souvent intéressé à ce qu’il y avait de l’autre côté. Pour le découvrir il fallait parfois soulever une bâche comme dans sa série des Losanges/peinture, d’autres fois c’était tout simplement le statut même de la représentation qui était remis en question en un jeu subtil d’écrans, d’ombres portées questionnant les rapports entre la transparence et l’opacité, le support et son reflet, comme en témoignent des travaux plus récents tels que Ombres et lumières, Ame seule ou encore Rapt mouvementé. Tous les artistes dignes de ce nom ont une ou deux problématiques centrales qui irriguent leurs œuvres et Desbouiges, visiblement, n’échappe pas à la règle, lui qui s’inscrit avec ces Paysages de suie dans le sillage de ces peintres ayant fait de la fenêtre l’un des emblèmes de la peinture. Aussi conclurai-je volontiers sur cet aphorisme de Christian Bobin extrait de Les ruines du ciel, approchant le travail d’un peintre touchant et vrai qui s’est lui aussi beaucoup intéressé à ce sujet :
Pour Bonnard, ce qu’il y a de plus beau dans un musée, ce sont les fenêtres.
Tout est dit ou presque n’est ce pas ?
P M, Ambazac, Novembre 2015
Voir Le détail, Pour une histoire rapprochée de la peinture, Daniel Arasse, Editions Flammarion Paris 2014, P 74.