Peintures 2017 – 2018
Une belle envolée, 2017, 150x150cm, 100x80cm, 173x173cm, 140x200cm
Peinture acrylique sur toile camouflage tendue sur châssis + petits formats de toile tendue sur châssis.
Garden Party, 2018, format 42x32cm
Gazouiller les nuages, 2018, 74x54cm
Joël Desbouiges est l’artiste de deux univers qui nourrissent toute son oeuvre. Enfant de la campagne, des sous-bois et des brumes matinales, des chasses au gibier à plumes, il cultive une certaine nostalgie pour une ruralité généreuse et fondatrice.
Mais il est aussi un artiste conceptuel, trouvant des références dans l’abstraction. Tout comme l’homme qui évolue entre cueillette de champignons, pêche à la mouche et travail à l’atelier, l’artiste concentre dans chacune de ses pièces la matérialité brute de la nature et la sophistication de sa pensée. Desbouiges a construit sa grammaire personnelle grâce à plusieurs langages: la peinture, la photographie, le dessin, la collecte d’objets. Les compositions sont issues d’un jeu entre ces différentes expressions. Sorte de rébus dont le sens caché excite le regard et l’imaginaire. Contrairement à l’impression première, l’animal omniprésent n’est pas le sujet de chacune de ces histoires. Desbouiges aime le mot d’esprit, l’association d’idées, la métaphore. Un petit fagot de bois de chevreuil devient une poignée de bois mort, des flèches plantées sur un dessin d’oiseau symbolisent la mort de la peinture.
Tout ce gibier, n’est-il pas nous-mêmes, perdus dans une nature de plus en plus dénaturée, mangeant une viande désincarnée,respirant des parfums artificiels, oubliant les forces et les humeurs qui nous constituent. Joël Desbouiges est un artiste foncièrement tellurique qui trouve dans le monde du vivant les réponses à ses questions philosophiques et esthétiques.
Jean Michel Collet, 2016
Une belle échappée
Alain RENOY
« salut sylvestre », « salut sylvestre, mon vieux », « bon dieu de bois, elles t’ont fait des cornes terribles, ces deux dernières saisons », « merci, mais que veux-tu, j’en avais quatorze lâchées dans les halliers et les layons… », « et ta quinzième ? », « ma conquête de l’autre nuit ?, mon nouveau trophée ?, c’est une biche », « eh oui, il faut se faire une raison, on n’est plus des narcisses qu’un jeune œil humide reflète, on n’a plus l’âge d’affoler les bichettes », « pas sûr, tu as vu la gamine, là-bas, avec ses yeux qui nous aguichent, comme elle a l’air de s’exposer ?, tu veux qu’on croise les bois pour elle, histoire de l’épater ? », « tu sais, avec tes bois d’artistes et mes bois de laine, j’aurais vraiment tout d’un pauvre andouiller, et puis croiser les bois, entre nous, ça nous porterait peut-être malheur, alors, je préfère me contenter des dix miennes, et laisser cette môme nous reluquer », « libre à toi, après tout, c’est vrai qu’on n’a plus nos riches élans de petits hères d’antan », « eh non, c’est la fatalité, le poids qui nous échoit, tôt ou tard, choit sur nous en un cristal noir qui écrase nos vains avoirs », « franchement, ça rime à quoi, ces rimes en oir et en oi ?, tu cherches à retourner à ton jeune faon, celui où tu étais le plus poétique des hôtes de ces bois ? », « tu dois me confondre avec le renard au fromage, sans doute, mais à propos de jeune faon, tes petits de l’automne passé, tu as des nouvelles ? », « non, j’ai plutôt des nouveaux », « félicitations », « pas de quoi », « oh, pardon, je n’ai rien dit, tu as des problèmes de qualité de reproduits ? », « oui et non, tu sais ce que c’est, les adolesfaons sont toujours assez hardes avec leur père dominant », « c’est leurs mères qui les remontent contre nous, tu crois ?, parce que, soi-disant, on les laisse faire leurs bébés toutes seules, au milieu de l’éclipse d’hiver, des derniers bouquets et des poignées de bois mort, puis des premiers spasmes sauvages du printemps ? », « va savoir avec elles, tu leur dis « fais-moi tes yeux de biche », et elles te font un faon dans le dos », « eh oui, d’ailleurs, regarde la gamine, elle n’attend pas que tu le lui demandes, elle te fait ses yeux doux en septembre », « ça, n’empêche, c’est un coup à devoir lui faire passer un test d’après coup, histoire de savoir si elle est grosse, avec un de ces bâtons de prélèvement qu’on trouve dans n’importe quelle trousse à pharmacie naturelle », « eh oui, comme le dit l’adage sylvain, dépistage à l’automne, tétines à l’été », « en parlant d’allaité, je voulais justement te râler un peu, au sujet d’un de mes petits derniers », « celui que tu as eu avec…, comment elle s’appelle déjà ? », « blanche-biche », « ah oui, blanche-biche, la drôle d’albichenos ?, franchement, entre nous, je me pose parfois des questions sur tes goûts, elle n’est pas rousse comme tout le monde, à mon avis », « que veux-tu, quand on a la conquête facile, on est amené à s’attaquer aux spécialités, d’abord du chef, vu le prestige de mes ramures, puis de la bi… », « ne sois pas vulgaire, je te prie, on est tous embarqués dans le même bon dieu de petit bois, et on doit bien s’y tenir, serrés comme des cerfs dignes », « …che, oui, elle est blanche comme neige, mais ce qui m’inquiète, c’est que depuis sept ans, elle garde ses faons auprès d’elle, comme s’ils étaient ses nains », « dont le tien ? », « lui, c’est le pire, depuis mai, il n’a jamais été dans son assiette, figure-toi qu’après sa mise bas, sa mère lui a fait de suite un couvert de ses pattes, et il y est resté blotti, tout tremblant, comme s’il craignait de se changer en daguet », « je vois, coincé entre des pieds de biche, il est difficile pour un petit d’apprendre à voler », « tu sais, parfois, je me dis que quand les péteurs de plombs viendront, en octobre, il va mal finir, sur une nappe blanche et sous une brune », « tu veux dire que tu le vois étouffé, sous une couche de cette sauce grand veneur, qui a accompagné le civet de mon demi-frère, d’après la rumeur de la forêt ? », « tout à fait, ou parfois, je le vois étendu mort sur un miroir encadré d’or, en prélude, puis ses contours se portent, au-dessus de lui, sur trois petits espaces plats aux pâleurs de nuages d’été, où ils restent dessinés, dans un mouvement inerte, fin et léger », « un mouvement fin et léger ?, comme dans le scherzo d’une sonate au clair d’une lune d’albichenos ? », « si tu veux, vieux galopin, en fait, c’est comme si une main inconnue avait rabattu le reflet de son vrai corps, et l’avait imprimé, tout en le décorporant, sur des toiles superposées, dans une mise en tableau renversée », « je vois le tableau, et ça représenterait sa seule manière de s’enlever, y compris d’entre les pattes de sa mère blanche ? », « pourquoi pas ?, il ressemblerait à l’esprit d’un oiseau migrateur, et peut-être à celui d’un ange, qui serait libre de s’étendre dans les strictes limites de trois carrés de ciels clairs », « à moins que ses lignes ne soient tombées sur le miroir, et qu’on ne lui ait restitué, pendant qu’il était occupé à choir, son tendre corps tacheté, en l’écrasant sur ses maigres avoirs ? », « encore un accès de tes rimes en oir ?, mais pour répondre à ta question par une interrogation, qui sait ?, la vie et son envers sont de longs fleuves intranquilles et noirs, dans le cours desquels, s’il nous est permis de boire, on est incapables de rien apercevoir », « dis-donc, mon vieux, tu deviens spirituel et sentimental, avec l’âge, quand je pense qu’avant, tes petits étaient les cadets de tes soucis », « c’est vrai, aujourd’hui, le fils de blanche-biche me faon un brin le cœur, mais mes humeurs fluctuent, parfois, je suis indifférent comme je l’étais à quatre ans, d’autres fois, j’en arrive à en avoir ras la ramure, de cette vie de cerfitude », « je te comprends, de plus en plus souvent, moi aussi je perds tout courage, surtout en cette période, où les tirs sur les buts qu’on est succèdent à nos ruts » « eh oui, entre le remplissage des dix tiennes, des quinze miennes, et, le mois prochain, l’évitement des plombs des péteurs, il y a de quoi être éreintés, en fait, toi et moi, on doit se l’avouer, on est des cerfs vidés », « allons, bon, même la bichette s’est lassée de nous entendre râler », « tu en es sûr ? », « est-ce que tu la vois encore, là-bas, avec ses jolis yeux qui trichent et nous rassurent ? », « non, mais elle simule peut-être la belle envolée, histoire qu’on aille la renifler au fond des bois », « tu crois au cerf noël, sur ce coup-là, ou tu planes complètement, en fait, c’est un peu comme si tu te rêvais en cerf-volant, au-dessus d’une plage de sable, et que tu te mettais brusquement à plonger, puis à fureter l’écume, à jouer à la belette avec les crevettes ou à fouiner la vague », « oh moi, pour les vacances, je suis plutôt bord de rivière et doux vallon, en plus, le sel de mer, c’est juste bon pour apprêter les filets des nôtres, avant la cuisson, et la mère blanche, franchement, j’ai déjà donné dedans », « tu sais, entre nous, je pense que pour ce qui est de courir la jeune prétentaine, à l’âge de nos urètres, on éprouverait vraiment trop de peine », « eh oui, je dois me faire une raison, je le sais, n’empêche, à partir de ce constat d’ancienneté, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir foutre ? », « puisqu’on ne va pas se croiser les bois, je te propose d’aller pousser le brame, chacun de notre côté, si on s’y prend comme ça, peut-être qu’on va arriver à débusquer une biche pas trop usagée », « bon dieu de bois, mon vieux, alors, j’aurais un seizième trophée, ce serait pas mal, pour un ancien seize-cors de chasse comme moi », « c’est clair, mais, en ce qui concerne les bichettes, il faut qu’on fasse une croix, entre nos cornes ou pas », « comme l’autre, là, l’illuminé ?, celui qui s’était pris pour un saint-cerf sans l’être tout à fait ? », « sincère, tu veux dire ?, oui, plus ou moins », « n’empêche, il a échappé au massacre, tu te souviens ?, le péteur de plomb de l’époque, ce pigeon blasonné, s’était agenouillé devant lui sans en faire un plat, mais en en faisant un tel foin, au milieu de la rumeur de la forêt, que le croisé a pu se faire des bichettes sans fin, et jusqu’à aujourd’hui, ne fût-ce que par l’esprit, à cause du culte des grands doyens », « eh oui, mon vieux, mais, outre le fait que tes rimes en in ne riment à rien, pour les cerfs contemporains qu’on est, tout a une fin, que veux-tu, même l’exposition temporaire, à l’autre bout d’une clairière, d’une belle échappée »
A R , Octobre 2017
*les mots, phrases en italiques sont issues des titres d’oeuvres présentées dans l’exposition DESBOUIGES, « La belle envolée » au Centre d’Art Contemporain du Luxembourg Belge d’Etalle en Belgique , octobre 2017