Subitement tous les oiseaux de la terre se mirent à chanter. Où donc avaient-ils passé la nuit ? Un rayon de lumière pointa à l’Est et une brise légère s’éleva sur le lac.
Jim Harrison, in « Sorcier », 1981

Vert sapin et Vert acrylique
Joël Desbouiges est né un matin de gelée blanche de novembre dans la vallée de la Benaize, rivière du haut Limousin en Marche Occitane. Enfant il court après les volées d’alouettes, il aime l’air humide et piquant des fonds de prés où s’envolent en zigzagant les bécassines sourdes.
Au printemps, aux derniers chuchotements de la nuit l’adolescent gagne les bords de l’Anglin ou de l’Allemette pour y prélever une belle fario mouchetée. Aux premières bourrasques de l’automne il disparait dans les forêts pour y cueillir les cèpes tout en comptant et repérant les bosquets touffus où chantent les perdrix.
Ces années vont conditionner ses recherches à venir et définir son modèle de vie future.
C’est sous une pluie battante d’avril qu’il livrera à ses parents son envie d’aller étudier dans une Ecole d’Art, rien de très surprenant pour la famille et les amis qui depuis quelques années collectionnent les dessins, les paysages et les natures mortes à la peinture à l’huile du lycéen.
Ces études à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Limoges sont heureuses et riches de découvertes à travers une importante production de grands formats de toiles à messages sous le regard de son professeur Claude Viallat qu’il retrouve aujourd’hui avec une profonde amitié. Desbouiges n’épouse pas les idées de Supports/ Surfaces, mais c’est sans doute la fréquentation de ce mouvement qui marque la grande liberté de son travail.
Il peut faire peur par son extraordinaire capacité de production, des dizaines de séries de peintures, des centaines de dessins qui appartiennent à des véritables familles de recherches abouties. Photos,dessins,installations, objets, peintures sont une successions d’interrogations, de remises en cause qui font partie d’une vie remplie de doutes, véritable combat entre l’abstraction et la représentation. La peinture le questionne, la couleur et le trait du dessin le passionne, mais si le métier de peintre reste une question fondamentale , c’est à travers ses réponses qu’il évoque ses préoccupations d’homme sur la perte des repères identitaires, la mémoire collective et la notion de transmission.
Dans toutes ses aventures plastiques Desbouiges joue avec le sens, le titre, la connaissance du support et de la couleur et semble aimer quand les pièces truffées de sens cachés esquissent un sourire, c’est sans doute ces jeux-là qui permettent à la peinture de ne pas vieillir et de conserver envers elle une exigence du regard.
Il fait partie de cette génération en France que les années 80 ont volontairement oubliée. Formée, forgée dans une grande liberté d’expression, elle refuse d’adhérer totalement aux réseaux, aux institutions de l’Art dit Contemporain et continue de répondre aux exigences de l’Art Vivant qui rejette toutes hiérarchies dans les pratiques artistiques. Il refuse un Art qui se fige dans l’abnégation, qui semble être habité par un levain qui détruit toute sensibilité. Il fuit les dupeurs et poursuit ses recherches où se mêlent le besoin de communiquer, le sens de l’épure et où l’Art est à la fois poétique et critique. Très jeune il s’est entouré d’amis écrivains, poètes, philosophes, il a conservé la soif de leurs mots.
Dans son atelier, toujours installé à la campagne, Desbouiges convoque tous les artistes des siècles passés, l’Art Contemporain n’a pas de place privilégiée et pour lui la peinture est un camouflage, celui du peintre. Ses recherches sont portées par cette singulière relation qu’il nourrit avec la nature, il ne vit pas ce qui se passe, mais avec ce qui passe, le court du temps, son art est au coeur des saisons parfois face à une angoissante actualité.
Dans ses expositions il semble vouloir réconcilier tous les visiteurs, des professionnels du monde de l’art aux néophytes étonnés, il n’oublie pas le monde populaire d’où il vient, il ne se cache pas d’être un coureur de rivières et de bois qui prend la vie à bras le corps avec ses amis chers, directeurs de galeries, de centres d’art contemporain, conservateurs de Musées, tout ceux qui ont fait, font ou feront confiance à son travail.
J D 2017